Prise en charge scolarité des français – par Michèle Bloch
Le sénateur Del Picchia a largement diffusé, notamment auprès des élus de l’Assemblée de Français de l’étranger, une lettre visant à donner des arguments en faveur de la mesure de prise en charge de la scolarité des lycéens français dont les États généraux qui se sont tenus dans de nombreux pays révèlent qu’elle est largement contestée.
Ce qui ressort de ce courrier est un mépris absolu de la réalité du terrain, des institutions de notre démocratie, et même des propres collègues de M. Del Picchia au Sénat, qui ont en vain tenté de corriger les pires effets de cette mesure (l’amendement qu’ils avaient présenté en ce sens a en effet été rejeté par le gouvernement). Il révèle surtout la gêne profonde de celui qui se présente comme l’inspirateur de la mesure de prise en charge et qui voyant le peu d’enthousiasme qu’elle suscite, essaie de convaincre chacun qu’il se trompe, s’enfonçant à chaque argument un peu plus dans le déni de la réalité.
Notons que ce qui a été présenté durant la campagne électorale comme la gratuité pour tous les Français n’est plus aujourd’hui que la “prise en charge pour les lycéens”.
Les associations et fédérations de parents d’élèves qui contestent la mesure, écrit le sénateur “sont composées à majorité de parents d’enfants étrangers, majoritaires dans nos écoles”. En effet les fédérations de parents d’élèves, et c’est leur honneur, reflètent la réalité des établissements et fédèrent l’ensemble des familles dans l’intérêt général et dans le but de maintenir la qualité de l’enseignement.
Nous ne trouvons pas digne d’opposer ainsi familles françaises et étrangères. En effet, si les établissements du réseau scolarisent des élèves étrangers dans le but de diffuser la langue et la culture françaises et d’assurer la mixité, ils le font aussi parce que ces 53% d’élèves (dans le réseau AEFE, 70% tous établissements confondus) sont indispensables à leur existence en garantissant des effectifs et un financement stables.
La parole des associations de parents d’élèves, des syndicats, des participants aux états généraux, a le poids que donne la représentativité, elle mériterait d’être écoutée au lieu d’être écartée au prétexte que ses auteurs n’auraient pas d’arguments concrets.
M. Le sénateur a oublié le document rédigé collectivement par Français du monde -ADFE, les syndicats, les parents d’élèves et distribué lors de la cession plénière de l’AFE en septembre dernier qui énumérait très précisément les effets pervers de la mesure.
Comment des représentants des Français de l’étranger sincères peuvent ils défendre une mesure qui consiste à consacrer une soixantaine de millions d’euros à 15 000 lycéens français – sans aucune condition de ressources – en laissant plus de 60 000 élèves et collégiens français face à une augmentation de 60% des frais de scolarités sur les cinq prochaines années ?
Comment peuvent ils expliquer à leur électorat que cette mesure est juste alors que ces soixante millions d’euros, ajoutés au budget des bourses auraient permis d’aider trois fois plus d’élèves (plus de 45 000) sur la base de critères sociaux ?
Le sénateur affirme que cette affectation au budget des bourses de fonds prévus pour la prise en charge n’est pas possible, c’est ignorer que les fonds sont sur le même programme budgétaire 151 et que ce qu’une volonté politique a fait une volonté politique peut le défaire ou le modifier.
Le dernier conseil d’administration de l’AEFE, a mis en évidence la baisse tendancielle de l’aide publique et un important transfert de charges sur l’AEFE auquel l’Agence ne pourrait faire face sans un accroissement important des contributions familiales. La participation des familles passe de 108M€ à 130M€ en 2009, la progression sera encore plus forte les prochaines années.
Cette année, 50 postes d’expatriés seront transformés en postes de résidents, 100 nouveaux postes de résidents à charge totale des établissements sont créés pour faire face à l’augmentation du nombre d’élèves or il faut se rappeler que le coût d’un résident est passé en 2009 de 40 000 euros par an à 60 000 euros.
De l’aveu même de l’administration, il faut donc s’attendre dès 2009 à de fortes tensions au sein du réseau.
Il faut savoir écouter et entendre les acteurs du terrain qui s’expriment dans de nombreux pays à l’occasion des États généraux. Ils disent que cette mesure est mal ciblée, qu’elle ne sert qu’à cacher le désengagement de l’État, qui lui est bien réel et met en péril la qualité de l’enseignement français à l’étranger. Ils notent les conséquences détestables de cette mesure qui, si elle n’est pas la cause des difficultés de l’enseignement français à l’étranger, en aggrave les conséquences en créant deux catégories d’élèves français, ceux qui paient et ceux qui ne paient pas, en donnant aux élèves étrangers le sentiment d’être des variables d’ajustement, en privant le réseau, en pleine crise économique, des ressources provenant des entreprises.
Errare humanum est, perseverare diabolicum !
Michèle Bloch