Pouria Amirshahi, Député des Français de l’étranger, au Maroc – Mars 2014
2,5 millions de Français qui vivent hors de France, c’est une chance !
Lepetitjournal.com a profité de la venue du député des Français de l’étranger (9e circonscription, Afrique du nord et de l’ouest) à Casablanca pour le rencontrer et faire le point avec lui sur son mandat.
Lepetitjournal.com : Monsieur le député, pouvez-vous nous expliquer votre rôle, suite à la création de ce mandat en 2012 ?
Pouria Amirshahi : La France a supprimé 11 députés en métropole pour créer 11 postes de députés à l’étranger, suite au constat qu’il n’était pas normal que 2,5 millions de Français établis hors de France ne soient pas dépositaires, comme les autres Français, d’une part de la souveraineté nationale. Mon rôle est donc de les représenter à l’assemblée nationale, de faire la loi et de concourir à l’intérêt général.
Je mets sur la table les sujets spécifiques des Français de l’étranger: Par exemple, je me suis adressé au gouvernement concernant la réouverture du lycée français de Bamako et la maitrise de la hausse des coûts de scolarité spécifique au Maroc.
Sur les lois générales, je ramène la question des Français de l’étranger dans le débat et je demande des amendements : par exemple pour que la plus-value à la revente d’un bien immobilier en France soit alignée sur le régime des autres Français au sein de l’espace économique européen, afin de respecter le principe d’égalité face à l’impôt. J’aimerais aussi qu’en matière de retraite, les années de travail effectuées hors de France puissent être intégrées dans l’acquittement des droits à la retraite.
Comment sont perçus tous ces Français vivant à l’étranger?
Au départ, il y avait le cliché et parfois l’injure de soupçon d’évasion fiscale. Ou alors une grande méconnaissance concernant le nombre très important de Français établis hors de France. Mon rôle est de normaliser l’image des Français de l’étranger et de montrer que c’est une chance et qu’il n’y a pas à s’en inquiéter, c’est un enrichissement pour la France et ça participe au renforcement des liens entre la France et les autres sociétés. Depuis mon élection, j’ai constaté que les parlementaires s’habituent à cette représentation et à l’extension de l’intérêt général au-delà des frontières.
Pourquoi avez-vous choisi de défendre ces Français de l’étranger ?
C’est une belle citoyenneté que celle vécue hors de France. Ma circonscription comprend le Maghreb et l’Afrique de l’ouest, soit 16 pays, le Maroc ayant la place la plus importante en nombre de Français. D’un point de vue géopolitique, elle est d’une importance extraordinaire pour la France, du fait de sa proximité géographique, de son histoire commune, des relations de famille qui se comptent par millions. Je veux qu’on assume qu’une partie de notre avenir se joue dans cette relation avec des pays amis qui dépassent les traumatismes historiques, les relations conflictuelles, parce que c’est plein de richesses et de possibilités. D’ailleurs, les sociétés civiles le demandent !
Qui rencontrez-vous lors de vos déplacements ?
Quand je vais en circonscription, j’ai trois temps :
– L’un avec les français rencontrés en permanence, ou en réunion thématique (chefs d’entreprises, enseignants, parents d’élèves…), ou en réunion publique de compte rendu de mandat
– Un autre avec la société civile du pays : universitaires, chefs d’entreprises, syndicalistes, associations, commerçants, tous ces gens qui ont une activité remarquable. Car on ne connait pas une société qu’à travers ses officiels !
– Un dernier temps avec les officiels : au Maroc, je rencontre les parlementaires de divers partis, les ministres, institutionnels, parfois autres représentations diplomatiques etc. C’est important pour leur faire passer des messages.
Y a-t-il une différence dans les préoccupations des expatriés, des franco-marocains et des Français qui habitent le Maroc depuis des générations ?
Je ne fais aucune distinction entre Français, par principe politique et par philosophie. Bien sûr, les représentations et le vécu de chacun ne sont pas les mêmes selon qu’on est là depuis 6 mois ou que l’on est né au Maroc, mais ce n’est pas une difficulté. Cela nécessite par contre, une approche différente. Certains de leurs problèmes se règlent par la loi, d’autres par le changement des mentalités. C’est mon travail à ces deux niveaux.
Quelles sont vos satisfactions et insatisfactions après deux ans d’exercice ?
Concernant les points positifs : Beaucoup de progrès ont été faits dans la reconnaissance des Français de l’étranger. Nous avons remporté une victoire fiscale sur la plus-value concernant la vente de bien immobilier. Nous avons également obtenu un groupe de travail interministériel sur le sujet des retraites. De nouvelles écoles françaises ont été créées au Maroc et une nouvelle grille de bourse a été fixée. Enfin, je citerai la qualité et la rapidité d’accueil dans les consulats qui sont bien meilleures.
Concernant les points négatifs : ça n’avance pas aussi vite que je voudrais. Par exemple, l’école reste trop chère. J’aimerais également avancer sur les problématiques d’état civil pour qu’on arrête de devoir prouver sa nationalité, ainsi que sur la sécurité sociale et la CFE qui est chère et pas toujours adaptée même si elle a le mérite d’exister. Par ailleurs, on manque de moyens. Je pense aux instituts français qui ont une capacité de rayonnement culturel extraordinaire et aux consulats qui réunissent tous les services publics à l’étranger. Ils méritent qu’on leur donne plus de considération et donc de moyens. Il y a de vraies victoires concrètes et d’autres choses qui n’avancent pas. Il ne faut pas faire croire que l’on a tout obtenu.
Du côté de l’Etat français, quelles sont ses priorités vis-à-vis des Français de l’étranger ?
La priorité affichée par le gouvernement est la sécurité physique de ses ressortissants et de leurs biens. Cette protection est également juridique puisque la règle de la France est que la justice française est compétente dès qu’un Français est victime à l’étranger de maltraitance, crime ou délit par un autre français ou un étranger.
Par ailleurs, le gouvernement s’appuie de plus en plus sur le levier de la société civile entrepreneuriale pour défendre les intérêts des petites et grosses entreprises françaises mais aussi encrer et nouer davantage les liens entre les sociétés civiles: universités, collectivités locales, entreprises, parlementaires… Les relations internationales ne sont plus fondées sur les seules relations de gouvernement à gouvernement. C’est passionnant d’être le porte-parole de ces sociétés civiles en mouvement.
Vous avez présenté un rapport sur la mission francophone (lire notre article). Quelle est la place de la francophonie au Maroc ? Qu’avez-vous envie de faire dans ce pays ?
La mondialisation percute les identités. Des espaces géoculturels émergent et s’organisent autour des langues centrales. Il n’y a pas de raison que les francophones ne le fassent pas. Il faut créer un noyau de pays francophones pionniers, dont le Maroc, qui vont s’engager vers une convergence de contenus: éducatifs, scientifiques, de normes, de certifications… pour forger cette culture commune. Il faut être ambitieux, à savoir ne pas avoir peur devant d’autres cultures et intelligences. Par exemple, nous francophones, nous devons être en mesure de créer une revue scientifique francophone. Cela signifie qu’il faut faire « alliance sincère et fraternelle ». J’insiste sur ces mots qui évoquent un partage des cultures différentes autour d’une langue.
Si l’on veut réussir cette grande alliance francophone, alors, il faut aller chercher les Québécois, les Français, les Belges, les Maghrébins, et bien d’autres pays encore que je compte au nombre de 34. Enfin, pour que ce soit possible, il faut l’intégration d’enjeux économiques dans la stratégie francophone. La francophonie économique, ça existe!
Cette alliance représente beaucoup de solidité pour le monde de demain. En plus, c’est beau car c’est des Américains et des Européens, des noirs et des blancs, des Maghrébins et des Latins. C’est un beau projet pour moi la Francophonie !
Mes propositions concrètes sont : des visas francophones, des Erasmus francophones, une stratégie numérique francophone, une revue scientifique francophone… Je vais essayer de mettre en place un comité de suivi pour que mon rapport, adopté à l’unanimité et très bien accueilli, puisse vivre.
Concernant les prochaines élections consulaires, avez-vous un message à donner aux Français ?
Mon message est double : il faut d’abord que les Français de l’étranger comprennent que la première mesure qu’a prise le gouvernement, c’est de leur donner la parole. Ce n’est pas une petite considération. Ensuite, ces échelons de proximité vont être déterminants car ils vont constituer des relais efficaces dont j’ai besoin en tant que député. 16 pays dans ma circonscription, c’est beaucoup de problématiques qui s’affinent au fur et à mesure que l’on se rapproche d’un territoire, d’une ville… J’ai donc besoin de l’aide de ces conseillers qui connaissent mieux le terrain que moi puisqu’ils y vivent au quotidien.
Lorraine Pincemail (www.lepetitjournal.com/casablanca) Vendredi 21 mars 2014
> Lire l’entretien sur le site internet du Petit Journal