L’hypocrisie d’Hortefeux
l’Hypocrisie d’Hortefeux, par Richard Yung
Décembre 2008
29.796 expulsions en un an… Voilà le bilan dont le ministre Hortefeux s’est félicité avant de quitter ses fonctions et de passer le relais à Eric Besson. Avec une augmentation de près de 30% par rapport à 2007, l’ancien ministre de l’immigration et de l’identité nationale s’est réjoui d’avoir explosé l’objectif fixé à 26.000 « reconduites à la frontière » pour 2008. Mais ce battage médiatique est une mascarade et le bilan de Brice Hortefeux est très largement critiquable pour plusieurs raisons.
D’abord, n’oublions pas que derrière les chiffres se cachent des réalités dures, violentes et peu dignes. L’action du gouvernement s’est accompagnée d’une politique de la peur inacceptable. Le ministre n’a pas évoqué ces clandestins morts en tentant de fuir la police, ces enfants traqués à la sortie des écoles et les 242 mineurs placés en centre de rétention (80% d’entre eux ont moins de 10 ans !) Oubliée également la condamnation de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), qui avait jugé la loi de 2007 discriminatoire… Brice Hortefeux n’a pas non plus mentionné l’échec subi dans sa volonté d’étouffer la CIMADE (l’association chargée d’apporter une assistance juridique aux étrangers enfermés dans les centres de rétention), ni ces centaines de sans-papiers qui errent encore dans le nord de la France depuis la fermeture du centre de Sangatte… « Nicolas Sarkozy fabrique des sans-papiers, lui qui prétend lutter contre l’immigration clandestine », disait Eric Besson à l’époque où son itinéraire ne l’avait pas conduit à quitter le PS pour rallier l’UMP. Mathématiquement, le bilan peut paraître glorieux mais humainement, il nous fait honte. La France des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, c’est bien fini. Sans compter l’hypocrisie du ministre qui a parlé d’un tiers de retours volontaires alors que la grande majorité de ces départs concernent des Roumains et des Bulgares qui bénéficient d’aides au retour et reviennent sur notre territoire par la suite…
Ensuite, il faut se pencher sur l’utilité de ces expulsions. Les reconduites à la frontière pourraient éventuellement se justifier si elles avaient une incidence sur les conditions de vie des populations immigrées en permettant une meilleure intégration ou si elles avaient une incidence sur les chiffres du travail au noir et du chômage (car en favorisant une immigration professionnelle, c’est clairement l’objectif). Or, cela n’est pas le cas : le volet « intégration » du ministère n’est même plus cité. Brice Hortefeux a peu communiqué sur cette question préférant se concentrer sur l’aspect sécuritaire de sa mission pour séduire les électeurs du Front National. L’obsession avec laquelle on poursuit les mariages binationaux est bien le contraire d’une volonté d’intégration.
Par ailleurs, le ministre met en avant les huit accords bilatéraux signés par la France avec des pays d’émigration. Mais qui sait vraiment ce qu’ils contiennent ? Ils sont brandis dans un acte de communication pur sans même être expliqués. Il s’agit en fait de fausses promesses destinées à faire croire aux pays signataires que leurs ressortissants bénéficieront de facilités pour émigrer et qu’ils recevront des aides au développement en échange d’une lutte renforcée contre les migrations clandestines et d’une réadmission de leurs ressortissants sur leur territoire. Mais en réalité, ces textes sont élaborés dans l’opacité la plus totale, sans que la société civile y soit associée, et ils ne visent qu’à restreindre les flux migratoires puisqu’ils n’apportent aucune valeur ajoutée pour les migrants légaux par rapport aux autres textes déjà en vigueur. Saluons la persévérance du gouvernement malien qui a refusé de signer l’un de ces accords iniques.
Les clauses prévues pour bénéficier d’un titre de séjour « salarié » temporaire sont à la fois bien trop exigeantes pour être réalistes et peu pertinentes. L’immigrant doit être capable de présenter une promesse d’embauche dans un secteur très qualifié, ce qui n’est pas forcément une bonne option compte tenu du fait que les gisements d’emplois se situent aussi beaucoup dans les secteurs peu qualifiés.
En ce qui concerne les permis de séjour pour les étudiants (qui sont, en soi, une très bonne idée), ils ne sont pas plus réalistes. Seuls les jeunes ayant à la fois un diplôme de niveau master et un emploi en lien avec leur formation leur permettant de gagner au moins une fois et demi le Smic sont concernés… Ces trois conditions sont déjà très difficiles à réaliser pour de nombreux Français, alors imaginons de jeunes Africains désireux de réaliser leur première expérience professionnelle dans notre pays… Nul besoin de dire que le Gouvernement veut mettre en place une immigration d’élites dont la plupart des jeunes se verront exclus. Même remarque pour les visas de circulation (qui permettent d’effectuer des allers-retours avec le pays d’origine), qui ne concernent que les personnes qualifiées. Sans compter que rien n’a été fait pour que les immigrés vivant en France puissent accueillir leur famille ou leurs amis, en visite, plus facilement : ils sont soumis à des conditions choquantes puisqu’ils doivent prouver un salaire et une surface de logement bien supérieurs à ce que beaucoup de Français possèdent… Ce système est définitivement injuste !
Enfin, un dernier point est scandaleux : il est demandé aux pays signataires de ces accords d’admettre non seulement leurs ressortissants mais également ceux de pays tiers qui sont passés sur leur territoire ! Avec quels moyens et quelles structures ces Etats, déjà pauvres, pourraient-ils le faire si la France elle-même les expulse ? Le volet « co-développement » est une duperie. On fait d’ailleurs de plus en plus appel à la notion floue de « développement solidaire » qui porte en elle la menace de transferts de crédits du ministère des Affaires étrangères vers la lutte contre l’immigration… Une enveloppe de 29 millions d’euros est pourtant prévue pour aider les migrants qui retournent dans leur pays à y développer l’économie. C’est là que doit se faire le vrai bilan : à la racine.
Si l’on n’élimine pas la pauvreté dans les terres d’émigration, on aura beau multiplier les charters et les expulsions, on ne résoudra rien. Rappelons-nous de DURAS et de son barrage contre l’océan… C’est là que tout se joue.
Richard Yung